Nothing is normal anymore

Cet article est particulier car il marque la fin exceptionnelle d’une première collaboration avec une artiste singulière: Malebona Maphutse. En résidence avec la Fabrique de l’esprit à la Cité Internationale des arts de Paris depuis janvier 2020, nos équipes se sont mobilisées pour donner à voir le processus artistique de Malebona durant la résidence, et surtout d’accompagner l’artiste du début à la fin de cette expérience exceptionnelle.

 

En pleine crise sanitaire, l’Afrique du Sud décide le 18 mars de fermer ses frontières aux pays les plus touchés par le COVID-19. La France étant l’un de ces pays, nous décidons avec Malebona d’écourter sa résidence à Paris pour qu’elle retourne auprès de ses proches avant la fermeture officielle. Malebona nous fait part de son ressenti face au confinement qui en en Afrique du Sud lui procure un sentiment étrange. En effet, en Afrique du Sud beaucoup de gens vivent dans une précarité immense et n’ont pas la possibilité de rester confinés chez eux. Dans certains cas, cela engendre beaucoup de violences policières envers les populations les plus pauvres.

 

Depuis son retour de la France, Malebona est confinée chez sa mère à Johannesburg. Cette maison est constituée de trois chambres et deux salles de bain. Cet arrangement lui permet de garder une indépendance et une distance nécessaire avec sa mère et son frère pour ainsi ne prendre aucun risque pendant sa période de quarantaine. Elle dispose de ses propres couverts assignés, de sa salle de bain et communique à travers le trou de la serrure ou par texto. Si elle doit sortir de sa chambre, c’est en se munissant de gants médicaux et d’un masque de protection afin de s’aventurer… chez elle. Oui, en effet, rien est normal depuis quelques semaines, la chambre devient un royaume et l’extérieur un déluge de virus autant invisible qu’effrayant. Alors Malebona est tentée de s’initier à la méditation, un programme de 21 jours qu’une de ses amies lui recommande. Quoi de mieux que de se concentrer sur le néant quand tout semble si présent dans une chambre exiguë.

D’ailleurs dans ce contexte, la présence se fait virtuellement. La directrice Candice Allison des ateliers Bag Factory Artists’ Studio de Johannesburg où se trouve l’atelier de Malebona, a décidé de fermer les portes aux artistes et au public dans un but de prévention générale contre la propagation du virus. Cependant, tout le monde s’active pour trouver des solutions alternatives et surtout créatives à l’aune de cette situation hors du commun. Dans une ère marquée par la satisfaction immédiate, nous nous demandons en tant qu’acteurs culturels comment introduire l’art visuel chez soi ? Le but de ce projet est donc d’expérimenter l’utilité du médium digital comme mode de transmission artistique.

 

Mercredi 8 et 15 avril, la Bag Factory Artists Studio organise une projection des œuvres de ses artistes vidéastes. L’exposition intitulée le Covert Bioscopeinclut six artistes dont Malebona. Une exposition qui sera suivie d’une conversation avec les artistes. À ne pas manquer !

 

 

Enfin, rentrons dans le vif du sujet, il nous tarde de savoir comment une artiste adapte son processus artistique dans un contexte de pandémie mondiale. C’est le contexte particulier dans lequel nous vivons qui influence ses œuvres. Tout d’abord, il semble que la fiction rejoint de plus en plus la réalité. Depuis le début de cette période de confinement, la Cité Internationale des arts a donné accès à une série de films aux artistes de la résidence. Dans cette liste, Malebona est tombée sur «El hoyo », un film contemporain espagnol qui tire une critique de notre société capitaliste. Une société qui rend les êtres humains toujours plus inégaux et toujours plus violents. Ce film montre comment l’être humain bascule dans des comportements excessifs qui le conduit à faire souffrir l’autre dans le but de se procurer des ressources. Ce qui intéresse Malebona dans ce contexte de pandémie mondiale, c’est de questionner les responsabilités individuelles de chacun en impliquant l’impact du capitalisme qui est omniprésent dans nos vies.

 

Nos façons de vivre s’adaptent aussi rapidement qu’elles ont été changées. Nous rêvons de ces centaines voire milliers d’images capturées sur les réseaux sociaux, les chaînes YouTube où informations en tous genres car dans l’attente, nous lisons tout ce qu’il y’a à lire. Nous consommons l’angoisse du monde sur nos écrans car ce sont eux qui résument nos doutes. Malebona nous raconte qu’elle s’accroche malgré tout pour garder le contact avec ses ami.e.s. Bientôt elle essayera l’application : « let’s ’house’ party » qui lui permettra de faire la fête avec différents internautes dans le confort de sa chambre. Car oui, la solitude n’existerait pas dans la réalité virtuelle, laquelle est intemporelle et pérenne, les expositions en ligne resteront accessibles pendant un très long moment et il est possible que cela change notre perception de l’art.

D’un autre côté, l’art deviendra peut-être accessible à davantage de personnes et rempliera ce fossé social tant reproché au monde de l’art.

« There’s no normal anymore* », nous dit Malebona dans cette fin d’échange. Car s’il n’y a plus de normal aujourd’hui, il ne nous restera plus qu’à faire mieux demain.

 

*Dorénavant plus rien est normal

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