#Vendredi lecture – Emmanuelle Polack – Le marché de l’art sous l’Occupation

Emmanuelle Polack, Le marché de l’art sous l’occupation, Édition Tallandier, 2019

 

« L’art est l’expression de la société et s’il n’est pas là pour son perfectionnement, il y sera pour sa perte. » Proudhon.

 

Le marché de l’art français pendant la Seconde Guerre mondiale fut en effervescence constante. L’offre et la demande affluent de toute part, qu’elles proviennent des particuliers ou des professionnels, démontrant l’instabilité monétaire qui règne. Le système hitlérien est au cœur de ce commerce et dirige toutes les opérations, secondé par le régime de Vichy. De nombreuses expositions et ventes ont lieu, atteignant des prix records, telle que la vente du Docteur Viau. C’est ainsi que les lois édictées par l’ennemi et Vichy changent le climat artistique et montrent toute l’ampleur du collaborationnisme français à cette époque. L’art, et la peinture en particulier, devient une valeur refuge et un investissement considérable faisant apparaitre une spéculation sans précédent.

 

Un véritable réseau de marchands se crée autour des spoliations, et c’est ce que démontre l’auteure, Emmanuelle Polack, dans cet ouvrage qui a donné lieu à une exposition éponyme au Mémorial de la Shoah du 20 mars au 3 novembre 2019. De manière chronologique, elle retrace le processus de confiscation mis en place par l’occupant allemand en France : la première pierre posée à l’édifice d’une politique de spoliation des biens juifs. D’emblée, nous découvrons le rôle important d’un lieu emblématique de Paris, le Musée du Jeu de Paume, le « musée des confiscations« , où se jouent des scènes invraisemblables, d’échanges entre marchands français et allemands, ou de dirigeants haut placé tel que Goebbels, entre œuvres anciennes et modernes dites « dégénérées ». Mais également la mise en place d’organismes particuliers comme l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) qui centralise les butins au Jeu de Paume pour le musée de Linz, imaginé par Hitler en personne.

 

Méticuleusement, Emmanuelle Polack nous permet de découvrir les dessous de certaines ventes, en particulier à l’hôtel Drouot, avec des chiffres précis et la reconstitution historique des transferts et mouvements des œuvres, en France et en Suisse. Ainsi que la triste réalité que vivent les galeristes et marchands d’art moderne d’origine juive.

 

Une épopée dramatique relatant les agissements véreux d’intermédiaires et de marchands peu scrupuleux, pour enfin clore sur la récupération et la restitution des œuvres. De cet après qui reste en suspens à notre époque, où de nombreux musées regorgent d’œuvres dites « MNR » (Musée Nationaux Récupération) en attente de leur propriétaire légitime, reflétant l’indolence d’un gouvernement attendu, encore aujourd’hui, sur ces questions.

 

Note sur l’auteure

Emmanuelle Polack, docteure en histoire de l’art, est spécialiste de l’art sous l’Occupation et des recherches de provenance des œuvres volées lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle a été entre 2013 et 2017 experte internationale au sein de la « Task Force Schwabinger Kunstfund » et chercheuse associée à l’Institut national d’histoire de l’art. Elle a été en 2017 lauréate du prix Berthe Weill pour la recherche.

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