L’oeil éclos #25

Gregory Crewdson 

Untitled (Penitent Girl) (Série Twilight)

2001-2002, Ed. x/10, 54 cm x 153 cm © collection Francès

 

Une scène saisissante, qui m’apparaît comme une réminiscence de la silhouette dénudée d’Isabella Rossellini sur fond de quartier résidentiel américain, dans Blue Velvet. Un sentiment d’inquiétante étrangeté latent, que partage la photographie Untiltled (Penitent Girl) de Gregory Crewdson et le film de David Lynch. Et pour cause, il est le film qui a marqué durablement l’imaginaire de Crewdson.

Dans cette atmosphère crépusculaire, une femme éclairée par les phares d’une voiture se tient las, debout, en sous vêtements ; son corps, dont la chair semble imprégnée d’une désolation psychique ou physique, trahit le récit d’un drame intime en cours. Evoquerait-il une repentance ou un appel à l’aide ?

L’impression d’un événement ou phénomène insaisissable, passé ou imminent, donne la sensation que le drame rôde. Un étrange sentiment de malaise transparaît de cette scène et l’action qui la précède et la suit est entre nos mains, nous sommes témoins d’une histoire dans laquelle nous pouvons projeter nos propres angoisses et désirs.

La texture et la composition de l’image ainsi que le travail sur la lumière lui confèrent une qualité intrinsèquement cinématographique et laissent entrevoir qu’il s’agit ici d’une mise en scène, de la construction d’une fiction. Mais de quelle nature est-elle ? Surréaliste ou documentaire ?  Représentative de l’imaginaire sombre de Crewdson où affluent les dépictions de scènes de la vie quotidienne, les environnements nocturnes, les bouleversements du champ domestique, il se joue dans cette image, un drame psychologique contrecarrant le rêve américain.

Riches de nombreuses influences, les photographies de Crewdson évoquent aussi bien le cinéma fantastique et de suspens de David Lynch, Steven Spielberg, Alfred Hitchcock, que la peinture d’Edward Hopper, ou le style documentaire de William Eggleston et Walker Evans, entre autres. Chez Crewdson, le mystère affleure toujours, il est ancré dans un monde aux frontières du réel, entre onirisme, désenchantement, incertitude et irrationalité, où la beauté se mêle à l’étrangeté. En découle une part impénétrable qui fait des œuvres de Crewdson toute leur singularité.

 

Laure Bensoussan

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