L’Oeil éclos

L’oeil éclos #34

L’oeil éclos #34

Seon-Ghi Bahk, Point of View Black Graphite Chair, 2009

 

Seon-Ghi Bahk est un artiste sud-coréen né en 1966 à Sunsan. Diplômé des Beaux-arts de l’université de Séoul en 1994, il part ensuite étudier la sculpture en Italie, à l’université de Brera à Milan. C’est au cours de ce séjour qu’il commence à s’interroger sur la dynamique de la sculpture dans l’espace et la perception que nous pouvons en avoir. Ses œuvres dialoguent avec les lieux d’exposition et invite le visiteur à déambuler autour.

Un autre élément intrinsèque à l’œuvre de Bahk est le charbon de bois. Dans la tradition coréenne, il est utilisé dans des rituels de purification pour éloigner les mauvais esprits ou annoncer la naissance d’un enfant. Dès la fin des années 1980, le charbon devient le matériau de prédilection de l’artiste. Prenant une autre forme de l’existence de l’arbre, entre le vivant et le mort, il symbolise la renaissance, le cycle de vie infini de la nature dont nous faisons partie.

Dans ses sculptures et installations, Bahk met en scène le rapport de l’humain avec la nature. Ses œuvres illustrent, à travers leur légèreté et leur fragilité, les connexions intimes entre le devenir de l’être et le déclin, et symbolisent en somme le caractère cyclique de la vie.

Point of View Black Graphite Chair, de 2009, est emblématique de l’œuvre de Bahk. On y retrouve le graphite, dont la présence est soulignée dans le titre, ainsi qu’un jeu de perspective incitant le visiteur à se déplacer dans l’espace pour contempler la sculpture et trouver le bon angle de vue. Il représente en anamorphose (une image déformée, visible correctement sous un certain angle) un fauteuil sur lequel sont posés des livres, un journal, une paire de lunettes et une tasse, le tout donnant l’impression d’un dessin qui prend vie dans l’espace. Or, il s’agit d’une œuvre sculptée dans la pierre graphite qui, lorsqu’on ne la regarde pas du bon angle, devient un objet bidimensionnel, sans profondeur. Le mobilier est aplati et déformé et il perd non seulement son volume et son poids, mais aussi son confort et sa commodité. Il devient inutile. La familiarité de l’objet banal est tout d’un coup renversée de façon subversive. Bahk nous rappelle « que nous ne voyons que ce que nous regardons – juste une vue d’un objet1 ». Le spectateur doit se déplacer et trouver le bon angle pour voir le fauteuil en trois dimension. Ainsi, comme le résume Choi Tae-Man « deux espaces coexistent dans cette œuvre et se déplacent dans deux dimensions différentes2 ».

La perspective renvoie non seulement à la technique de représentation picturale mais aussi au regard que l’on porte sur une situation. Avec Point of View Black Graphite Chair, l’artiste rappelle que c’est notre perception qui permet de voir les choses, et que la vérité des choses est toujours cachée derrière la substance matérielle, le factice et la banalité. Bahk nous pousse à rediriger notre regard et à varier ainsi notre point de vue dès lors que nous nous positionnons différemment. Il explique : « Jusqu’à présent, mes travaux sur les points de vue ont consisté à montrer l’aspect fictif et la folie de la perspective. […] Les objets malformés que j’ai fabriqués amèneront mieux les gens à voir l’essence des choses3 ».

Notes :

1Seon-Ghi Bahk, « An art work is a result of reconstructing a perfect form. Reconstructions of perfect forms! », dans Seon-Ghi Bahk, 2018, p.36.

2Choi Tae-Man, « Seon-Ghi Bahk’s Three Projects », dans Seon-Ghi Bahk, 2018, p.24.

3Idem.

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L’oeil éclos #33

L’oeil éclos #33

Agatoak Ronny Kowspi, Wanmai, 2003, peinture sur toile contrecollée sur carton, 40,6 x 50,8 cm

Agatoak Ronny Kowspi (né en 1977) est un peintre Kwoma, vivant en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Second fils de Raymond Kowspi Marek, il s’engage avec son père et son frère aîné, Robin Chiphowka Kowspi, dans l’art contemporain au début des années 2000. Avec de l’acrylique sur papier ou sur toile, ils représentent les mythes kwoma. Depuis peu, Agatoak explore des thèmes liés aux changements et défis en cours dans notre société, comme la perte des liens avec la nature.

Dans sa toile Wanmai (2003), il peint le mythe originel du peuple kwoma. Au centre de la composition, remarquable par l’utilisation du vert, se trouve un sanglier qui se nomme Djembiyamos. Un homme, Guayamba, est attaché à sa queue. Kowspi représente le moment culminant du mythe, la traversée du Wanmai, nom du passage entre un monde et un autre, et la découverte par l’homme du monde sur terre. Le sanglier vient de sortir du passage alors que l’homme y est encore.

« Jadis, il y a très longtemps, les hommes vivaient sous terre, et tout ce qu’ils voyaient en regardant en haut était obscur. Ils ne pouvaient pas regarder vers le ciel », explique Raymond Kowspi Marek, le père d’Agatoak.

Guayamba découvre le Wanmai après avoir remarqué que son sanglier revenait les soirs couvert d’une terre rouge inexistante dans leur monde souterrain. Alors, il décide un jour de le suivre. A l’entrée du Wanmai, il s’accroche à la queue de l’animal qui le hisse vers le haut, à la surface de la terre. « Là-haut, poursuit Kowspi Marek, le soleil, la terre, les oiseaux, les arbres : tout était transformé. Tout était devenu clair et lumineux. La couleur de la terre portée par Djembiyamos scintillait sur une île au loin: Kwoaga ».

Avec l’utilisation du vert et du jaune, Agatoak Kowspi transmet les couleurs que découvre Guayamba à sa sortie du passage. Dans l’arrière-plan, l’artiste expérimente une stylisation végétale qu’il imagine être celle de l’époque de ses ancêtres et souhaite créer une expérience visuelle captivante. Pour Agatoak Kowspi, « motifs et personnages sont tous d’un seul tenant ». Le vert qui domine la composition est une couleur nouvelle dans la tradition picturale kwoma. En effet, les Kowspi sont les premiers à expérimenter les couleurs non-naturelles avec l’utilisation de l’acrylique.

Après cette découverte du nouveau monde, l’homme redescend sous terre pour aller chercher les habitants du monde souterrain et tous remontèrent à la surface. Ils construisirent un village et la première maison cérémonielle, Weinbongur. Rapidement, l’île devient trop petite, les hommes traversent alors le fleuve.

Les hommes restés sur place s’appellent aujourd’hui les Nukuma, les hommes du fleuve. Les autres, qui partirent en quête d’autres terres, grimpèrent les montagnes Washnuk. C’est de là que vient le nom Kwoma – de kwo, les / collines, et Ma, les hommes.

« Telle est l’histoire dont est issu le peuple Kwoma ».

Agatoak et son frère Robin sont actuellement en résidence à Paris, à la Cité Internationale des Arts dans le cadre du programme de résidences internationales de l’Association Françoise pour l’œuvre contemporaine en société. À cette occasion, les deux artistes, ainsi que leur père, sont exposés à la Fondation Francès pour deux expositions-événements, à Senlis et à Clichy.

Cette peinture est visible à la Fondation Francès, à Clichy, au 21 rue Georges Boisseau, du 1er au 14 mars 2024.
Ouverture en présence des artistes le samedi 2 et dimanche 3 mars !
Visite sur réservation : en cliquant ici.

L’exposition de Senlis est ouverte du 23 février 2024 et jusqu’au 24 mars, au 27 Rue Saint-Pierre.
Entrée libre du mercredi au samedi de 11h à 19h.

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L’oeil éclos #32

L’oeil éclos #32

Robin Chiphowka Kowspi, Sans titre (Kumurr), 2004, acrylique sur papier, 63,5×51 cm

Robin Chiphowka Kowspi (né en 1974) est un peintre Kwoma, vivant en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Fils aîné de Raymond Kowspi Marek, chef séculier, Robin s’engage avec son père et son frère cadet, Agatoak Ronny Kowspi, dans l’art contemporain au début des années 2000. Avec de l’acrylique sur papier ou sur toile, chacun représente à sa manière les mythes kwoma et les réactualise.

Dans ce dessin sans-titre datant de 2004, Robin représente une scène issue du mythe Kumurr. Kumurr est l’esprit-mère des sangliers, reconnaissable à ses oreilles coupées. C’est elle que l’on voit peinte en train de porter une maison.
Un jour, lors d’une promenade, elle rencontre deux adolescents, frère et sœur. Les deux enfants avaient été abandonnés par leur père et vivent seuls depuis. L’esprit-mère, inquiète pour les enfants, veut les prendre sous son aile et offre alors aux deux jeunes de s’installer dans son village. Le frère et la sœur refusent mais proposent à la place qu’elle vienne leur rendre visite de temps en temps, ce que Kumurr accepte.
Mais la nuit même, elle va retrouver les enfants avec les sangliers de son village pour les faire venir discrètement dans son village. Pour cela Kumurr porte la maison du frère et de la sœur tandis que les sangliers déménagent et recréèrent l’environnement autour de la maison des jeunes au sein de leur village.

C’est ce moment que Robin a décidé de représenter. On voit Kumurr soulever la maison et la terre dans laquelle elle est enracinée. Autour, notamment sur la partie supérieure, il est possible de discerner des masques aux couleurs vives, rappelant que Kumurr est un esprit. Initiant son processus créatif par des dessins au crayon, Robin équilibre ensuite les couleurs, les mélangeant souvent de manière ingénieuse. Il réalise ses peintures en imaginant les couleurs du passé qui illustrent l’environnement et les personnages des mythes.

Robin et son frère Agatoak sont actuellement en résidence à Paris, à la Cité Internationale des Arts dans le cadre du programme de résidences internationales de l’Association Françoise pour l’œuvre contemporaine en société. À cette occasion, les deux artistes, ainsi que leur père, sont exposés à la Fondation Francès pour deux expositions-événements, à Senlis et à Clichy.

Cette peinture est visible dans l’exposition de Senlis, ouverte à partir du 23 février 2024 et jusqu’au 24 mars, au 27 Rue Saint-Pierre. Entrée libre du mercredi au samedi de 11h à 19h.

Celle de Clichy ouvre du 1er mars au 14 mars, au 21 rue Georges Boisseau. Ouverture en présence des artistes le samedi 2 et dimanche 3 mars ! Visite sur réservation : en cliquant ici. 

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